Icône de l’exode rural, née en 1905, Bécassine incarne dans la littérature enfantine de la première moitié du vingtième siècle une France nouvelle aux prises avec le monde urbain et la modernité. Sa fonction d’employée de maison va se révéler au fil des albums un remarquable ascenseur social. Ainsi, durant un demi-siècle, la verrons-nous subir et surmonter – grâce à sa fantastique capacité d’adaptation – les grandes mutations et les principales crises de la société française. À travers ses (més)aventures, ses auteurs,Caumery et Pinchon, ont préparé les jeunes lectrices de La Semaine de Suzette à devenir des femmes modernes, actives et responsables.
Résumé de la 2ème conférence de Bernard Lehembre
Joseph Pinchon, après des études à St Ignace à Paris, expose au salon parisien ses tableaux de vénerie. Mais, au début du XXème siècle, ce type de peinture n’intéresse qu’un petit milieu et Pinchon cherche d’autres travaux.
Un de ses complices de St Ignace, Le Cordier, lui propose d’illustrer ses textes chez l’éditeur Delagrave, en remplacement de Maurice Boutet de Monvel.
Peu de temps après, une équipe se constitue chez Henri Gautier autour de Mme Rivière, romancière qui travaillait pour Les Veillées des Chaumières. C’est la sortie, en février 1905, d’un hebdomadaire pour les petites filles : la Semaine de Suzette.
Le succès de Bécassine s’explique de plusieurs façons : la 1ère planche est drôle, c’est un gag autour de la naïveté d’une paysanne arrivant en ville. Et il y a peu de choses drôles dans ce journal. Henri Gautier avait promis à chaque abonnée un cadeau : une poupée du fabricant Jumeau qui avait déposé le bilan. Or, il n‘avait pas prévu qu’il y aurait 20 000 abonnées ! Les lectrices écrivirent au journal pour exprimer leur déception de ne pas recevoir la poupée promise, ni de nouvelles historiettes comme celle de Bécassine qui les avait tellement amusées. Il fut donc plus facile pour Henri Gautier de commander à Pinchon la suite de Bécassine que de relancer une chaîne de fabrication de poupées.
Et c’est ainsi qu’au bout de 23 semaines, Bécassine réapparut dans la Semaine de Suzette et cette fois en 1ère page pour montrer que le journal était attentif aux réclamations des lectrices !
Quand Maurice Languereau reprend le scénario en 1913, il fait de Bécassine non pas un pantin attachant qui fait rire mais une héroïne dotée d’une vraie psychologie dont on suivra la vie à travers un véritable feuilleton : il crée 2 albums de flashbacks sur son enfance et son apprentissage. Alors que Mme Rivière faisait de Bécassine une sotte, Caumery, pseudo et anagramme de Maurice, en fait une ingénue qui lui permet de révéler les sottises du monde qu’elle est amenée à côtoyer d’un album à l’autre. Ainsi assistons-nous à la lente décadence de la maison de Madame de Grand Air et à l’ascension sociale de Bécassine qui conduira une automobile, pilotera un avion, s’essaiera au métier d’infirmière…
Bernard Lehembre compare cette métamorphose du personnage à la prise de conscience qu’a eu Chaplin sur la densité potentielle de son personnage Charlot. Bécassine, ingénue, dévoilera dans les albums parus pendant la guerre de 14-18 différents travers et scandales : alors que les autres héros des journaux pour enfants deviennent des va-t’en guerre, Bécassine révèle « le pot aux roses » du cinéma aux armées. Les vraies images n’étant pas montrables, des figurants avaient été recrutés pour créer des films censés entretenir le moral des civils. Le ministère de la guerre de l’époque très fâché, menacera d’interdire cette Bécassine sur le front de la Somme.
Pendant le conflit c’est Edouard Zier qui dessinera Bécassine : son dessin est plus fin, les mains plus délicates.
Au retour de Pinchon des Dardanelles, le canevas de Bécassine chez les Turcs est prêt !
En 1920, Languereau se marie avec une de ses collaboratrices et aura une fille. De son côté Pinchon aussi se marie avec une margnotine, fille d’un officier lorrain, Suzanne Wurtz.
Bécassine va alors renoncer à tous les métiers qu’elle avait tentés pour rentrer au service de Madame de Grand Air comme nourrice de la petite Loulotte, orpheline recueillie par la marquise. Commence alors un long roman d’éducation avec les idées de Caumery qui sont à l’opposé de celles utilisées jusqu’alors, c’est-à-dire celles de la comtesse de Ségur. Le rôle positif et encourageant de Bécassine à l’égard de Loulotte plaira à Françoise Dolto qui s’en inspirera !
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