Les contes se perpétuent en se racontant, en se transformant. Même aujourd’hui, où les fées s’appellent Française des Jeux ou Meetic, le charme opère : on confie son sort à la chance. Le garant de la parole populaire n’est plus académicien (Perrault) mais maçon (Bouygues) ou entrepreneur (Bolloré) et les filles ne croisent plus le loup au bois mais dans une salle des coffres où elles lui intiment l’ordre de les laisser choisir leur prétendant. Le merveilleux agit parfois comme un charme hypnotique (la Cendrillon du groupe Téléphone) ou comme un rappel de conscience : aux lecteurs de reconnaître les illusions posées sur leur chemin, à les combattre, les accepter, les amadouer, bref, jouer avec leurs fictions : lire.
Compte rendu de la conférence
« Il veut que je m’énerve en vrai, le loup ?
Il me croit aussi bête que le Petit Chaperon rouge ou quoi ? »,
Mademoiselle Sauve-qui-peut, Philippe Corentin
Il était plusieurs fois…
Avant d’être écrits, au XVIIe siècle, les contes circulaient en France essentiellement sous forme orale. En 1690, madame d’Aulnoy est la première à en insérer dans un de ses romans, suivie par Mademoiselle L’Héritier (Mme D’Aulnoy insère « L’Isle de la Félicité » dans l’Histoire d’Hipolite, comte de Duglas et Melle L’Héritier insère quatre contes dans Œuvres mêlées) puis par Charles Perrault qui, sous la signature de son fils Pierre, publie Histoires ou Contes du temps passé avec moralités en puisant dans un terreau divers : oral (contes de vieilles), écrit (Apulée, La Fontaine…), étranger (Straparola et Basile, eux-mêmes inspirés de Boccace, etc.). Quand Antoine Galland introduit Les Mille et une nuits en Occident (1704-1717), son manuscrit, de source indo-persane, a déjà été assimilé par la culture arabe. Chaque conte est donc un composé de substrats divers agencés par des auteurs aux intentions et aux styles variés ; c’est pourquoi, devant quelque ouvrage que ce soit (ou quelque souvenir), on n’est jamais face à la version originale d’un récit mais face à une de ses versions (celle de Perrault, de Grimm, de Walt Disney etc.), une étape d’un immense brouillon aux sources multiples, à l’épilogue impossible. Quand Perrault publie Contes de ma mère l’Oye, il existe des salons littéraires où brillent des conteuses (Mme d’Aulnoy, Melle L’Héritier…), il y a des gouvernantes (Mme Leprince Beaumont …), des nounous ; face à la diversité de ce public, aucun conteur ne raconte les mêmes histoires, de la même façon, chacun a son répertoire. Parmi les ethnologues qui ont tenté de décrire ces pratiques, J. H. Delargy observe qu’en Irlande, les femmes étaient interdites d’épopée épique (roman gaëlique) mais reconnues pour transmettre les récits de la communauté, le savoir généalogique, les prières, les chansons… (« La figure de la conteuse dans la tradition orale », Nicole Belimont, in Il était une fois… les contes de fées, Seuil/BNF, 2001, p. 506) Aux hommes la dimension nationale (avec ce que ça comporte de passion créative), aux femmes la mémoire de la famille et du terroir (avec ce que ça comporte de fidélité et de répétition). Quand ce sont les hommes qui content, leurs récits sont plus longs, plus détaillés, plus complexes (« Les contes, il faut avoir le temps de les rêver, la possibilité de les passer dans sa tête » – « La figure de la conteuse dans la tradition orale », Nicole Belimont, in Il était une fois… les contes de fées, Seuil/BNF, 2001, p. 506), ceux des femmes sont plus brefs, moins pittoresques : les tâches extérieures (champs, bétail, jardin) et intérieures (logis, enfants) ne laissent pas le même loisir aux unes et aux autres. On trouve, chez les hommes faisant fonction de conteurs, des sédentaires (artisans aux activités compatibles avec la transmission, bûcherons isolés pendant de longs mois dans les coupes – au Canada) et des itinérants qui, de village en village, s’enrichissaient des récits qu’ils entendaient et transmettaient par plaisir ou par nécessité (mendiants, colporteurs, conducteurs de troupeaux, ouvriers agricoles…). Assignées à résidence, les femmes, qui n’avaient pas la possibilité d’enrichir leur répertoire, étaient généralement limitées aux récits légués par leur père ou par leur mari. Parmi les exceptions, figurent des voyageuses (mendiantes, porteuses de dépêche, fileuses à la quenouille…) qui acquéraient sur les routes expertise et légitimation. Quand la modernité a touché les sociétés traditionnelles, les hommes se sont peu à peu détournés de cette activité qui, du coup, a perdu de son adhésion sociale. La féminisation de la pratique a entraîné son « enfantinisation » et son appauvrissement : toutes les femmes ne se sentaient pas autorisées à prendre des libertés avec le patrimoine, massivement légué par les hommes, à créer. Pourtant, comme tout autre discours, le conte est un genre qui évolue en s’imprégnant des discours antérieurs pour les refondre et leur ouvrir d’autres espaces de signification : « C’est encore l’histoire d’un ogre, mais celle-là, elle est rigolote », écrit Philippe Corentin (L’Ogre, le loup, la petite fille et le gâteau) invitant son lecteur à saisir les nouveaux enjeux de l’histoire déjà connue (« Ah ! oui, je la connais déjà », disent souvent les enfants quand le conteur commence son histoire). Conter ce n’est pas oraliser des textes écrits mais assurer le passage des voix de bouche à oreille, puis de bouche à bouche en se réjouissant des variations produites par ces passages (Poétique de la voix en littérature de jeunesse, Le racontage de la maternelle à l’université, Serge Martin, L’Harmattan, 2014).
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Quand la Cour s’empare des contes, les sources populaires ont été rhabillées en langage cultivé et cela fait fureur ; quand Les Mille et une nuits paraissent, la mode des féeries turques, persane, mongole et chinoise se propage (La turquerie dans Le Bourgeois Gentilhomme de Molière est un exemple de cet engouement) : « Que s’était-il donc passé qui était venu mener cette révolution, qui avait introduit les fadaises populaires dans les salons de Versailles, en habillant de brocard les guenilles de Peau-d’Ânette ? ». Le conte distrait une aristocratie qui s’ennuie et se plaît à ces bulles de songe à condition que ce qui se dit soit joliment dit et que, dans ce rituel poli, une classe sociale se reconnaisse et se distingue : « Alors qu’au conte traditionnel l’austérité d’un chemin creux, d’une margelle usée, d’un château isolé suffisait pour décor, il faut au récit lettré d’innombrables chambres et vestibules où s’accumulent meubles rares, girandoles et glaces, vaisseaux d’argent et coffrets de pierreries. » (« Les contes de fées, fortunes littéraires du XVIIIème siècle », Elisabeth Lemire, Il était une fois… les contes de fées, p. 87). Les voisines et les bonnes amies n’attendirent pas qu’on les envoyât quérir pour aller chez la jeune mariée, tant elles avaient d’impatience de voir toutes les richesses de sa maison, n’ayant osé y venir pendant que le mari y était, à cause de sa barbe bleue qui leur faisait peur. Les voilà aussitôt à parcourir les chambres, les cabinets, les garde-robes, toutes plus belles les unes que les autres. Le conte « sent violemment la poudre d’iris » et « confère à ceux qui le lisent un subtil plaisir narcissique. ». Il s’adapte aux goûts d’une société dont il sublime l’art de vivre en ouvrant, avec les monstres et les figures bestiales, les frontières séparant l’animalité de l’humanité : « Le conte devient une autre scène, celle d’impossibles amours comme si se balbutiait ou se répétait par avance mais à l’insu de tous le théâtre qu’instaurera dans ses fictions le marquis de Sade. » (« Les contes de fées, fortunes littéraires du XVIIIème siècle », Elisabeth Lemire, Il était une fois… les contes de fées, p. 87). On multiplie les recueils avec l’intention de sauver les contes de l’oubli et de « fournir aux générations futures des modèles et des sources d’inspiration. » (Il était une fois… les contes de fées, Seuil/BNF, 2001, notice 44, p. 118). En publiant Le Cabinet des fées (1785-1789), Charles-Joseph de Meyer effectue des tris, des hiérarchisations, laisse de côté certains auteurs (parmi lesquels les auteurs de contes licencieux) et consacre Perrault. Les frères Grimm feront des collectes plus méthodiques, se permettant moins de distance : « Avec eux, le conte de fées s’appauvrit en fées étincelantes pour gagner en saveur populaire, il perd sa décoration rococo et cesse d’être un jeu populaire pour réinvestir les noires forêts. » (« Le chaudron des contes », Olivier Piffaut, Il était une fois… les contes de fées, p. 17). Ces philologues, épris de romantisme, voulaient capter la vivacité et la versatilité du conte, sa continuité avec les mythes germaniques (« rumeur, événement plus ou moins remarquable qui se met en boule, et roule de village en village, de bouche à oreille. »). Ils ont comparé les versions, les ont recoupées, superposées espérant capter le parler populaire (« Tout récit est inséparable de la langue dans laquelle il se forge. La langue n’en est pas le simple véhicule mais la matrice… Ce qui doit être respecté scrupuleusement c’est l’art populaire de raconter, avec ses onomatopées, ses raccourcis, ses expressions frappantes. »- « Fidélité et création chez les frères Grimm », Pierre Péju, in Il était une fois… les contes de fées, p. 127). Les figures changent, la morale s’efface et la fin est laissée aux lecteurs : « Par un jour d’hiver, la terre étant couverte d’une épaisse couche de neige, un pauvre garçon dut sortit pour aller chercher du bois en traîneau. Quand il eut ramassé le bois et chargé le traîneau, il était tellement gelé qu’il ne voulut pas rentrer chez lui tout de suite, mais faire un feu pour se réchauffer un peu d’abord. Il balaya la neige, et tout en raclant ainsi le sol, il trouva une petite clé d’or. Croyant que là où était la clé, il devait y avoir aussi la serrure, il creusa la terre et trouva une cassette de fer. Pourvu que la clé aille ! pensa-t-il, la cassette contient sûrement des choses précieuses. Il chercha, mais ne vit pas le moindre trou de serrure ; enfin il en découvrit un, mais si petit que c’est tout juste si on le voyait. Il essaya la clé, elle allait parfaitement. Puis il la tourna une fois dans la serrure, et maintenant il nous faut attendre qu’il ait fini d’ouvrir et soulevé le couvercle, nous saurons alors quelles choses merveilleuses étaient contenues dans la cassette. », Les contes changent donc selon les conteurs, les publics, les époques et l’écriture risquait d’anéantir cette variabilité en faisant, comme le craignait Socrate, d’un discours vivant un discours mort (Phèdre, Platon). Les collecteurs, les conteurs, ont dû tisser des liens entre le contenu fictionnel et la réalité du lectorat, moduler les rythmes, les intonations, adapter la langue pour « faire vrai » : il fallait que la voix soit présente pour garantir la source populaire et légitimer un patrimoine folklorique national. Sur l’édition originale des Histoires ou Contes du temps passé avec moralités (1695), l’absence du nom de l’auteur crée l’illusion d’une transmission directe : la voix semble sortir de la bouche de la conteuse pour toucher un public de qualité (coiffure, chapeau, manchon). Cette mise en scène nie la fracture entre l’orale et l’écrit, entre le peuple et les élites : « Le conte fait partie du folklore comme la danse, les cérémonies, les chansons… Ce sont diverses expressions populaires qui ont pour but de distraire mais aussi de dire les besoins et les souffrances du groupe, de structurer la vie sociale et de se reconnaître comme « pays ». Les contes reflètent des tensions, des contradictions angoissantes qu’ils réussissent généralement à résoudre (tension entre amour maternel et abandon des enfants, respect du destin et volonté de le contrecarrer). Les contes de Perrault sont ancrés dans les réalités politiques, économiques et sociales de son temps. Ces réalités nourrissent sa production littéraire qui est la manifestation du regard d’un privilégié. La famine de 1694-1695 est présente dans tous les esprits quand Perrault écrit Le Petit Poucet. Mais, on note un regard ambigu envers les pauvres parents qui dilapident dix écus imprudemment. » (Les contes de Perrault, culture savante et traditions populaires, Marc Soriano, coll. Tel, Gallimard, 1968). « Dans le moment que le bûcheron et la bûcheronne arrivèrent chez eux, le seigneur du village leur envoya dix écus, qu’il leur devait il y a longtemps, et dont ils n’espéraient plus rien. Cela leur redonna la vie, car les pauvres gens mouraient de faim. Le bûcheron envoya sur l’heure sa femme à la boucherie. Comme il y avait longtemps qu’elle n’avait pas mangé, elle acheta trois fois plus de viande qu’il n’en fallait pour le souper de deux personnes. Lorsqu’ils furent rassasiés, la bûcheronne dit : « Hélas ! où sont maintenant ces pauvres enfants ! Ils feraient bonne chère de ce qui nous reste là. Mais aussi, Guillaume, c’est toi qui les as voulu perdre ; j’avais bien dit que nous nous en repentirions. Que font-ils maintenant dans cette forêt ? Hélas ! mon Dieu, les loups les ont peut-être déjà mangés ! Tu es bien inhumain d’avoir perdu ainsi tes enfants ! » Le bûcheron s’impatienta à la fin ; car elle redit plus de vingt fois qu’ils s’en repentiraient, et qu’elle l’avait bien dit. Il la menaça de la battre si elle ne se taisait. Ce n’est pas que le bûcheron ne fut peut-être encore plus fâché que sa femme, mais c’est qu’elle lui rompait la tête, et qu’il était de l’humeur de beaucoup d’autres gens, qui aiment fort les femmes qui disent bien, mais qui trouvent très importunes celles qui ont toujours bien dit. » Si les Grimm vénéraient les usages populaires, Perrault les raille, les dénigre mais, par la forme littéraire qu’il a créée (brève, concise), il les a rendus inoubliables. Les Grimm jouent des litanies (reprises, formules) qui favoriser la mémorisation. Dans Cendrillon Perrault diffuse l’humour, les Grimm cumulent les refrains. … elle trouva six souris toutes en vie ; elle dit à Cendrillon de lever un peu la trappe de la souricière et à chaque souris qui sortait elle lui donnait un coup de sa baguette et la souris était aussitôt changée en un beau cheval ; ce qui fit un bel attelage de six chevaux, d’un beau gris de souris pommelé. … les bonnes graines dans le petit pot / les mauvaises dans votre jabot L’essentiel des contes fut, après la Révolution, destiné aux enfants : on les dépouilla de leurs artifices littéraires pour les simplifier et des fantaisies aristocratiques pour ne pas trahir les sources populaires. Le conte, variation individuelle sur le même thème, fonctionne sur le stéréotype (Voir « Lieux et figures des contes de fées », Il était une fois… les contes de fées, pp. 370-399). L’effacement du temps et de l’espace permet la mise à distance (pas de peur à avoir, rien n’existe sinon dans le nulle part de l’inconscient) et la créativité (tout peut arriver). Des lieux sont repris comme la maison (pas toujours protectrice) – « Il était une fois une maison au fond des bois », http://www.lecture.org/revues_livres/actes_lectures/AL/AL99/page030.pdf -, la forêt (lieu d’initiation et de mesure avec les forces naturelles et surnaturelles) et cet ailleurs vers lequel le héros se dirige sans réel repère. (Claude Ponti met des panneaux égarés dans Le Tournemire et offre un fil à Okilélé pour le guider). Il y aussi les espaces souterrains (royaume de Riquet à la houppe, espace de relégation d’Okilélé), les fonds marins (Petite Sirène), etc. Le temps, flou, parfois irrépressible (12 coups de minuits, 100 ans de sommeil), abat ses nombres magiques (3, 6, 7, 9) entre pétrification et métamorphose. Si une souillon peut devenir princesse et un tailleur roi, à la fin, l’aristocrate retourne à ses privilèges et le paysan à sa misère. En niant les cartes et les horloges, le conte prétend à l’universalité mais impose surtout l’immobilité sociale. Le deuxième invariant concerne les animaux, « réels » ou fantastiques : les récits partent d’ailleurs souvent « du temps où les bêtes parlaient ». L’animal peut aider les humains (les oiseaux trient les lentilles pour Cendrillon), effrayer les enfants (le loup) et se substitue parfois à son héros (Chat botté). Il est aussi le vecteur de l’étrange et de l’effrayant, la doublure de l’humain, son avatar : grenouille, cygnes, corbeaux… La fée est un autre invariant. Bonne ou cruelle, jeune ou vieille, elle infléchit le cours des vies (comme les Parques). Elle peut doter, punir, transformer, protéger et servir de conscience. La sorcière (Les monstres, le bruit de fond de la nature humaine, http://www.lecture.org/revues_livres/actes_lectures/AL/AL117/AL117_p51.pdf), son opposée, se répand en incantations, formules, murmures, tout un art de l’oralité qui lui a valu le bûcher. Elle ne fut pas toujours maléfique mais jeune et belle, femme et mère, influente sur les récoltes, les mariages. Dans les sociétés matriarcales, c’est une femme sexuée qui attire ou repousse les hommes, dans les sociétés patriarcales, c’est une hérétique : trop de qualités (beauté, savoir), trop de pouvoirs (Dans La Princesse parfaite, Francis Kessler & Maïté Dumas, Thierry Magnier, 2010, on ne peut être reine et fée à la fois). Elle est vieillie, enlaidie, vêtue de noir, vision du diable et de la nuit (Exception faite, par exemple, chez Chris Van Allsburgh, dans Le Balai magique, L’école des loisirs, 1993). Elle a conservé du folklore féminin le chaudron, le balai, la séduction, la cuisine (La sorcière cuit, fait bouillir, elle n’est pas cannibale. Elle est cultivée (il faut souvent une initiation pour devenir sorcière), le chant, la danse et, avec ses animaux divinatoires, elle parcourt des lieux déserts pour ses activités (cueillettes – Les Simples (mandragore, ciguë, belladone…) sont dangereuses à forte dose ; à faible dose, ce sont des philtre d’amour -, accouchements – La sorcière fut « l’unique médecin du peuple, pendant mille ans », La Sorcière, Jules Michelet, Garnier-Flammarion, 1966). Elle parle avec les éléments qu’elle dirige et met les vivants en rapport avec les morts. Crainte et appréciée pour les contre-pouvoirs qu’elle oppose au savoir officiel (farces, menteries, inversions chers au peuple), elle devient bouc émissaire quand les peurs saturent la vie (misère, famine, maladie, trahison amoureuse). Accusée de sortilège, de sacrilège, elle est reléguée aux bans de la société dans des lieux marécageux et brumeux. Aujourd’hui, associée aux luttes féministes, elle combat la misogynie, attire les enfants pour leur léguer les légendes (Les libraires de littérature de jeunesse se nomment Les Sorcières, leur journal, Citrouille : www.citrouille.net). Libre et friande d’excès, elle peut être belle et fragile (Kirikou). La famille est le grand identifiant du conte. Destiné « à ces jeunes qui de tout temps ont encombré les communautés rurales et posé le problème de leur statut et de leur intégration : adultes non mariés, géniteurs potentiels mais dépourvus de biens et d’autorité, fratries en rivalité pour la reprise de l’exploitation familiale… », c’est un code social et légal. On y trouve des parents abandonnants, dévorants, incestueux, des fratries désunies ou soudées, des départs, des retours, des héritages, des spoliations, des ruptures et des mariages. Au XVIème, l’enfant est encore un danger (il faut le nourrir, c’est un rival potentiel) même si la reproduction est l’objectif final. Tout cela justifie les innombrables épreuves : décès d’un parent, remariage, marâtre, appauvrissement, tentation, défis, recherche de l’amour, crainte de la mort… Sur ce trajet où les filles sont recluses (château, cercueil) et les garçons voyagent, la famille, essentielle, fait figure de paradis perdu. Comment les contes de fées continuent-ils d’être lisibles alors que la crédulité (du peuple et des enfants) est moindre (Dans « La fée du robinet », Contes de la rue Broca, Pierre Gripari inscrit le contexte social de réception dès le début) ? Les enfants les prennent aujourd’hui pour des fictions divertissantes qu’ils regardent sur grand écran, passant à côté d’artifices littéraires qui demandent d’identifier plusieurs niveaux de signification : jeu entre l’explicite et l’implicite, le réel et l’irréel, la narration « enjouée » et la vie de tout un chacun. L’auteur joue à merveille des illusions qu’il maîtrise parfaitement tout en feignant d’y croire lui-même (« Bien sûr qu’une souris ça ne vole pas », écrit Philippe Corentin dans Zigomar n’aime pas les légumes avant d’expliquer pourquoi « on » va y croire : « Jusqu’à lundi dernier. C’est ce jour-là que tout a commencé, lorsque Pipioli faillit se cogner à un oiseau qui faisait du rase-mottes. Un oiseau dans lequel il lui sembla bien avoir reconnu un lapin. ») : le merveilleux est un signal pour atteindre l’allégorique, il ne s’émancipe jamais totalement de la réalité (La «narration enjouée»: Vraisemblable et merveilleux dans les Contes en prose de Perrault (1697) par Marc Escola) comme on peut le voir dans ces extraits : L’Ogre qui se trouvait fort las du long chemin qu’il avait fait inutilement (car les bottes de sept lieues fatiguent fort leur homme), voulut se reposer, et par hasard il alla s’asseoir sur la roche où les petits garçons s’étaient cachés. Les bottes ont des limites (fatigue de l’ogre), le conteur beaucoup moins (il assoit l’ogre sur le rocher où son cachés les enfants) : il fallait le bloquer pour permettre à Poucet de s’emparer des bottes. Le réel a rattrapé l’ogre (sommeil) au moment où il allait rattraper ses proies. Le conteur associe une explication (car) à une coïncidence (hasard), posant une symétrie entre ces deux niveaux (entre parenthèse) : étrange aparté qui fait d’une illusion une évidence. La magie des bottes est donnée pour sûre dans l’énoncé suivant (elles étaient Fées, elles avaient le don) ; l’illusion étant assurée par des connecteurs logiques (comme, de sorte que, aussi… que) et la performance par des superlatifs (fort grandes et fort larges). Les bottes étaient fort grandes et fort larges; mais comme elles étaient Fées, elles avaient le don de s’agrandir et de s’apetisser selon la jambe de celui qui les chaussait, de sorte qu’elles se trouvèrent aussi justes à ses pieds et à ses jambes que si elles avaient été faites pour lui. Mais les bottes ne peuvent rien pour l’animal du marquis de Carabas : relégué au vulgaire chat de gouttière, il galère pour se maintenir en équilibre (non sans peine et sans péril). Le Chat fut si effrayé de voir un Lion devant lui, qu’il gagna aussitôt les gouttières, non sans peine et sans péril, à cause de ses bottes qui ne valaient rien pour marcher sur les tuiles. L’amour n’a que faire des sortilèges du conteur, il est en lui-même surnaturel et dispose d’un tel pouvoir magique que tous les mariages princiers en sont auréolés (même s’il est, dans le conte suivant, intéressé) : La Princesse n’eut pas plus tôt prononcé ces paroles, que Riquet à la houppe parut à ses yeux l’homme du monde le plus beau, le mieux fait et le plus aimable qu’elle eût jamais vu. Quelques-uns assurent que ce ne furent point les charmes de la Fée qui opérèrent, mais que l’amour fit seul cette métamorphose. Ils disent que la Princesse ayant fait réflexion sur la persévérance de son Amant, sur sa discrétion, et sur toutes les bonnes qualités de son âme et de son esprit, ne vit plus la difformité de son corps, ni la laideur de son visage, que sa bosse ne lui sembla plus que le bon air d’un homme qui fait le gros dos, et qu’au lieu que jusqu’alors elle l’avait vu boiter effroyablement, elle ne lui trouva plus qu’un certain air penché qui la charmait. Pourquoi multiplier les détergents contre la clé qui ne se perdra jamais son réel pouvoir : ouvrir le feuilleté du sens ? La clé était Fée mais avec son sablon et son grais, Perrault dit la tension entre le réel et le surnaturel. Ayant remarqué que la clé était tachée de sang, elle l’essuya deux ou trois fois, mais le sang ne s’en allait point; elle eut beau la laver, et même la frotter avec du sablon et du grais, il y demeura toujours du sang, car la clé était Fée, et il n’y avait pas moyen de la nettoyer tout à fait […]. Michel Butor écrivait que « Les contes de Perrault nous permettent d’observer le moment précis où la tradition orale appelle l’écriture à son secours pour se perpétuer. ». L’écriture, qui a modifié notre intelligence du monde et nos ordres sociaux (Jack Goody, La raison graphique ou la domestication de la pensée sauvage, Minuit), ne fige pas l’oralité si le texte n’est pas pris à la lettre, mais considéré comme une partition à interpréter. Certains éditeurs s’efforcent de confier le texte à la voix : Dans Les Trois pourceaux (Coline Promeyrat & Joëlle Jolivet, Les Trois pourceaux, Didier jeunesse), l’origine vocale du conte est suggérée par le cochon qui, tendant l’oreille, comprend qu’un festin de cochons se prépare et qu’il est temps de s’enfuir. Par un ensemble de jeux typographiques (police, couleurs de caractères, alinéas), la page devient un espace à moduler. Le conteur ne convertit pas l’oral en écrit, il n’adapte pas un fait passé, il le raconte en train de se produire, de façon vivante, sans que la machinerie n’apparaisse, comme si le récit sortait de lui-même. Philippe Corentin, maître actuel, s’immisce personnellement dans l’album, son corps et sa voix habitent ses histoires et s’approchent du public, tout près. Il use de présentatifs : (Voilà c’est l’histoire d’un loup), (C’est trois loups qui font un pique-nique…), il fait mine de découvrir le dessin en même temps que le lecteur (Oh là là ! Il n’a pas l’air content l’animal. Qu’est-ce qu’il a ?) et, commente en direct (Bon, ça commence bien on n’y voit rien…). Il interrompt son histoire pour réagir en temps réel au récit qui se déroule (niant toute responsabilité dans l’enchaînement des actions) : « Il tombe dans l’eau. Il s’aperçoit alors que le froma… Patatras ! Voilà le seau ! ». Il use de toutes les tensions narratives : le non verbal (ponctuation, typographie), le préverbal (onomatopées), l’archétypal (fable) pour jouer de l’imminence et redonner voix aux anciens textes : « Il était une fois une petite fille de village, la plus jolie qu’on eût su voir. » La notion de village a disparu du texte pour migrer dans l’image d’une cour de ferme. Le qualificatif espiègle installe l’histoire dans la veine parodique: Mademoiselle SQP, rouquine, a la vivacité d’une Fifi Brindacier : « Elle n’arrêtait pas. Pif ! Paf ! Pouf ! Et patapouf ! C’est bien simple, c’était une telle enquiquineuse que parfois on l’appelait Mademoiselle Sauve-qui-Peut. » Dans Plouf !, le loup fait du bruit en tombant dans le puits pour avoir confondu le reflet de la lune avec un fromage (Plouf !, Philippe Corentin, L’école des loisirs). Depuis les profondeurs, il espère un renfort en même temps qu’une proie. Le premier à passer est un cochon (comme celui qui a piégé le loup à la fin des Trois petits cochons). Est-ce une vengeance que le loup corentin espère en engageant son ennemi à venir le rejoindre ? D’où tient-il cette ruse, sinon du Roman de Renart ? Par les poulies, les histoires se croisent et se reflètent, le répertoire narratif se nourrissant massivement d’intertextualité (Philippe Corentin plagie même l’avenir (Le Plagiat par anticipation, Pierre Bayard, Minuit, 2010) : le seau, dans Plouf ! fait Patatras, titre d’un album suivant où le loup croisera des lapins, déjà présents dans Plouf – Plouf !, Tête à claques, Patatras, Zzzzz… zzzz…., Plouf !, Mademoiselle Sauve-qui-peut Philippe Corentin, L’école des loisirs). En reprenant les textes fondateurs, les auteurs font « briller leurs sens », le réactualisent. Prenons Les Trois petits cochons (Les trois cochons, Paul Galdone, Circonflexe, Les trois petites cochonnes, Frédéric Sther, L’école des loisirs , Trois cochons, David Wiesner, Circonflexe), fable de la survie (mais aussi rappel du droit d’aînesse, démarrage du Chat botté) : s’abriter et ne pas se faire manger. Maison en paille, en bois, en briques, l’histoire dit la place de l’expérience dans la fratrie hiérarchisée. Que devient la morale lorsqu’on regarde les rapports sociaux sous une autre variable, le sexe ? (Les Trois petites cochonnes). L’âge est soumis au devoir d’épousailles : vénale, l’aînée qui a bâti maison de pierre, calculatrice, la cadette qui a élu maison de bois seront avalées. La dernière trompe le loup (masques) qu’elle capture. Les mâles se pressent tandis qu’elle hésite à convoler, troublant l’ordre établi. Et voilà la jeunesse pillant hardiment le patrimoine pour en accepter l’héritage. Dans Trois cochons, c’est aux personnages des contes de se réapproprier leur histoire, dire leur version sur la façon de se défaire des loups. Les contes varient mais ne changent pas, au fond : « Tolkien emploie d’idée du Chaudron du conte » dans lequel mijotent de très anciens éléments, ces structures et motifs permanents auxquels se sont ajoutés peu à peu d’autres ingrédients plus historiques, religieux, ou propres aux conteurs… pour former une « soupe » toujours en élaboration, aux variations infinies. » (« Le chaudron des contes », Olivier Piffaut, Il était une fois… les contes de fées, p. 13). Philippe Corentin montre qu’il puise toujours au fameux chaudron en le dessinant, ça et là (L’Ogrionne, Mademoiselle Sauve-qui-peut) : au-dessus d’un feu crépitant, le récipient tient au chaud un ragoût, ce plat épicé pouvant cuire et recuire une base de légumes et de viande appréciée des convives. La dernière image de Mademoiselle Sauve-qui-peut montre la grand-mère et le loup partageant ce bon « bouillon ». Le conte est fini mais que ses effets perdurent (Anthony Browne montre les effets parfois angoissants des contes sur les esprits enfantins (Dans la forêt des contes, Kaléidoscope) : « Ça y est , elle est partie ? » s’inquiéta le loup. Avec sa bonnette, la narratrice ressemble à la conteuse de Perrault tandis que le loup, dans sa chemise de nuit, est un héros incrédule, rattrapé par son histoire, presque un enfant (« Pour de vrai ? »). La tentation est grande de voir dans ce couple réuni, l’instant où le patrimoine oral a mué sur les pages écrites. Mais la petite fille est partie, prétextant avoir « plein de trucs à faire ». Nourrie de contes et avertie par eux, elle est loin d’être aussi bête que le Chaperon rouge. Elle embrasse sa grand-mère de conteuse mais refuse de trinquer avec un loup. Aux enfants de puiser dans le chaudron les ingrédients nécessaires aux racontages. Rascal propose ainsi quelques indices sur lesquels s’appuyer pour raconter Le Petit Chaperon rouge, Boucle d’or et Les Trois petits cochons). Si les deux premiers contes conservent, plus ou moins fidèlement, la chair du scénario (lieux, dialogues, temps), le dernier, plus épuré, s’en tient aux sujets et aux objets (trois cochons, une maman, trois voyageurs, trois matériaux de construction, un loup), aux actions (départ, rencontres, constructions, confrontations, chute) : typographie et mise en page content à leur manière. Avec cette ambition minimaliste, Rascal montre que tout récit est un monde possible résultant de la combinaison d’éléments basique comme le montre plaisamment ce « Texte libre » de Bernard Friot (Histoires pressées) : Dimanche, je suis allé chez mon tonton et ma tata. On a mangé du poulet avec des frites. Après, on est allés au zoo et on a vu le tigre dans sa cage. Lundi, je suis allé chez le tigre. On a mangé mon tonton et ma tata avec des frites. Après, on est allés au zoo et on a vu le poulet dans sa cage. Mardi, je suis allé chez le poulet avec des frites. On a mangé le tigre. Après, on est allés au zoo et on a vu mon tonton et ma tata dans leur cage. D’autres auteurs réutilisent ces bases pour créer de nouvelles énigmes (tout conte en est un – Il était une fois… Contes en haïkus, Agnès Domergue, Thierry Magnier) : Wajda Lavater avait pixellisé Le Petit Chaperon rouge, une sorte de squelette sur lequel mettre des voix charnelles. Il suffit qu’une fillette surgisse, vêtue de rouge et portant un panier pour que le mythe surgisse (Le Code de la route) ou qu’une mère dise à sa fille « Tiens, va plutôt chez ta mère-grand. Porte-lui cette galette et ce petit pot de beurre. » (Mademoiselle Sauve-qui-peut) pour que la narration s’enflamme. Le conte ne s’arrête jamais et roule comme une rumeur depuis que l’humanité se figure l’existence. Après ses heures de gloire (XVIIème et XVIIIème siècles), ses intrigues persistent même si, sous la Révolution, le merveilleux est amoindri. Au XIXe siècle, avec l’obligation scolaire, le genre subit une infantilisation à grand renfort de morale. Le fantastique imprègne le mouvement romantique mais c’est surtout par l’illustration que le genre connaît un anoblissement littéraire. On soigne les atmosphères, dans la narration et dans l’illustration (Memo republie des anciennes versions : Trois contes merveilleux : Cendrillon, Le Chat botté, Les Trois ours, ill. Walter Crane). Georges Sand (Contes d’une grand-mère) a eu une place originale en croisant le folklore régional avec des influences internationales et la science (« Je voudrais bien que le merveilleux fût dans la nature »). La traduction des Aventures d’Alice au pays des Merveilles (Angleterre), de Pinocchio (Italie), du Merveilleux voyage de Nils Holgerson (Suède), redonnent au conte ses vertus ludiques. Au XXème siècle, sous l’influence des courants pédagogiques et philosophiques, du freudisme, le conte adapte l’univers merveilleux à l’univers psychique des lecteurs, leur besoin d’expression et d’activités. Entre les deux guerres, Paul Faucher (dont l’atelier du Père Castor coïncide avec la création de l’école maternelle – 1930), s’est entouré d’artistes internationaux pour valoriser la création et la paix entre les peuples. Le conte devient un objet industriel (dessin animé, objets décoratifs, jouets) ; en 1937, avec Blanche-Neige, Walt Disney donne de la puissance à ce mouvement (adaptations, abrégés, réécritures). Des éditeurs (Hachette, Bias, Les deux coqs d’or…) multiplient les collections bon marché enregistrant le clivage entre culture populaire et culture savante. Marcel Aymé (puis Jacques Prévert, Ionesco, Claude Roy…) avec Les Contes du chat perché, dote le conte d’une dimension humoristique. L’absurde pénètre le genre renforcé par le travail de certains illustrateurs : Nicole Claveloux, Etienne Delessert… En 1970, avec les Contes de la rue Broca, Pierre Gripari accentue le phénomène en le poussant jusqu’à l’irrespect, installant ses histoires dans des milieux contemporains, la rue Mouffetard où se croisent des acteurs modernes (commissaire de police, épicier…) et des populations hétérogènes (l’épicier Bachir et ses enfants). En 1976, la parution de La psychanalyse des contes de fées (La psychanalyse des contes de fées, Bruno Betelheim, Robert Laffont) et la popularité des thèses féministes permettent de relire autrement les contes, sous un angle plus social. Depuis 1980, le genre continue d’être bousculé par l’ironie d’auteurs comme Pef (La Belle lisse poire du Prince de Motordu, Gallimard) qui reprend le travail de déconstruction entrepris par Raymond Queneau en 1963 (Un conte à votre façon). Avec Les contes à l’envers (L’école des loisirs), Boris Moissard inaugure le mouvement parodique qui ne cesse d’être exploité avec plus ou moins de bonheur (nombre de caricatures vidant le procédé de son sens). En effet, la parodie est utile quand elle permet de relire autrement les sources : « Dans la parodie, la figure du double « n’affecte plus seulement le personnage mais la fiction elle-même dont elle révèle les doubles fonds, les motifs élidés. » (Figures du double, du personnage au texte, Nathalie Martinière, 2008, p. 87). Des créateurs mélangent les références dans des « salades de contes » (Lettres à des gens célèbres, Dans la forêt profonde, Magasin zinzin, Quel cafouillage !…- Lettres à des gens célèbres, Allan et Janet Allbergh, Albin Michel, , Dans la forêt profonde, Anthony Browne, Kaléidoscope, Magasin zinzin, Frédéric Clément, Albin Michel, Quel cafouillage, Gianni Rodari, Kaléidoscope) quand d’autres, comme Claude Ponti, se recentrent sur l’enfant (Le Doudou méchant, Schmélele et l’Eugénie des larmes). La dimension métafictionnelle s’empare des récits en conférant au héros (et parfois à l’auteur) la possibilité de s’interroger sur le genre, ses héros et ses actions (Oh là là…). Pour aider le lecteur à se situer dans ce foisonnement, Italo Calvino proposent des résumés humoristiques (et sensés): « Le conte ? Un vieil ami qui peut vous surprendre. S’introduire dans un conte, c’est un peu comme s’installer chez des amis, chez des parents : on connaît les gens, les lieux, les bons fauteuils et l’heure de goûter. On est habitué à la grand-mère qui pique en embrassant, à la tante « comme tu as changé et grandi ! » et au cousin la main toujours sur la braguette de sa culotte courte de flanelle comme s’il avait constamment envie de faire pipi. Bref, dans un conte on a l’impression d’être un peu comme chez soi ! Le roi, la marâtre et la princesse sont là, dans leur château, le roi est gentil, falot parfois et sa fille l’aime d’autant plus qu’elle n’a jamais de mère. La marâtre, on le sait déjà depuis plus d’un conte, est méchante, aigrie, jalouse. Le roi est flanqué de son armée et de son fidèle écuyer tandis que la belle-mère, sans tambour ni trompette, est séduite par le méchant qui se veut roi sur le trône et roi dans le lit de la reine infidèle. » Les versions originales continuent d’être publiées qui servent de base à tout travail pédagogique (Circonflexe, Didier, Le Genévrier, MeMo…). Par où commencer ? Pas de culture sans pratique assidue : il faut écouter des contes, les lire, les regarder (film, théâtre), et, à partir de ce répertoire, construire ses points de vue, ses propres versions. C’est le rôle des BCD de multiplier les usages et de les penser (théorisation, entrainement). Il faut éprouver la capacité des contes à impliquer et à mettre à distance, à subjectiver et à objectiver. Comment vivre, par exemple, la séparation des siens en début de scolarisation ? Par des livres qui en parlent, des contes familiaux où il est question de quitter le giron, de grandir, de partir, d’être le héros de sa vie. On peut lire (écouter, regarder) l’histoire de Boucle d’or en mêlant les versions contemporaines aux versions historiques, les parodies aux réécritures, les albums sans texte aux récits sans images ; aller du plus connu (qui rassure et accueille dans la communauté de sens) au plus insolite (qui intrigue et libère). Et reprendre l’histoire à son compte. Exemple d’un parcours possible : Des parents partis chercher à manger pour les Bouchanourrirs, un enfant seul au logis, un prénom aux sonorités dérivantes (Oups, pouce, soupe…) : Le Petit Poucet hante Le Doudou méchant. Chez Perrault, la fratrie est vite formée (« la mère allait vite en besogne et n’en faisait pas moins de deux à la fois ») et le dernier est unique : Dou-dou est-il le jumeau oublié ? Au banquet, les enfants sont 6. Avec Oups, ils sont 7. Il y a aussi 7 coussins, 7 balayettes, 7 étoiles… Le chemin magique (cailloux, miette) est réduit en bébés pierres. Oups traîne son tabouret : « car ayant entendu de dedans son lit qu’ils parlaient, il s’était levé doucement, et s’était glissé sous l’escabelle de son père pour les écouter sans être vu. ». Le monstre a couteau et fourchette (comme chez Doré) et Oups doit en nettoyer une forêt. Les oiseaux, qui picoraient les miettes, chez Perrault sont, chez Ponti, les Zoiseaux Zeureux du retour. Redéployés (inversions, oppositions, mutations), les éléments du conte interpellent son économie : quel chaos social confère aux enfants la survie de la famille ? Clos sur lui-même et sur sa moralité, le conte se perpétue en se racontant. Par sa proximité avec les nécessités premières (s’abriter, manger, aimer, être aimé), par sa forme (passé indéterminé, rythme régulier), par ses liens avec le surnaturel, il suggère une transcendance (sort ou destin). Même aujourd’hui, où les fées s’appellent Française des Jeux ou Meetic, où le charme se nomme glamour, on s’émerveille au spectacle des puissants (noce, naissance, longévité). Le garant de la parole populaire n’est plus académicien (Perrault) mais maçon (Bouygues) ou entrepreneur (Bolloré) et les filles ne croisent plus le loup au bois mais dans une salle des coffres où elles lui intiment l’ordre de les laisser choisir leur prétendant (Pub Chanel). Le merveilleux ne meurt jamais, il peut agir comme un charme hypnotique (la Cendrillon du groupe Téléphone) ou comme un rappel de conscience (« c’est la contradiction qui apparaît dans le réel. », Aragon). Lorsque le texte et l’image mettent en abyme l’énonciation, lorsque le conte se désigne comme un genre intertextuel, les lecteurs sont renvoyés à leur libre arbitre et à leurs responsabilités. Une situation non dénuée de pièges et d’enchantements. Yvanne Chenouf, ___ Aux petits enfants les grands livres, Perrault, la tradition orale et Doré : http://www.euroconte.org/fr-fr/cmlo/serviceéducatif/pourlesenseignantsenlycée/perraultlatraditionoraleetdoré.aspx Babakunde, Anne-Lise Heurtier & Mariona Cabassa, Les albums Casterman, 2014A conte que veux-tu ?
Elles montèrent ensuite aux garde-meubles, où elles ne pouvaient assez admirer le nombre et la beauté des tapisseries, des lits, des sofas, des cabinets, des guéridons, des tables et des miroirs, où l’on se voyait des pieds jusqu’à la tête, et dont les bordures, les unes de glace, les autres d’argent et de vermeil doré, étaient les plus belles et les plus magnifiques qu’on eût jamais vues.
(La Barbe Bleue, Perrault)
La clé d’or, GrimmEcrire les voix
(Charles Perrault, Les Contes de fées, ill. par Lucien Lafforge, 1920 éditions de la Sirène, 2008 Albin Michel).
(Perrault)
Petit arbre, agite-toi et secoue-toi. / Jette de l’or et de l’argent sur moi.
Tour nou touk, tour nou touk, Sang dans la pantouk, Le soulier est trop petit, La vraie fiancée est encore au logis. / Le soulier n’est pas trop petit, C’est la vraie fiancée qu’il mène au logis.
(Grimm)Stabilité et instabilité du genre
Le vraisemblable et l’allégorique
Des bottes pour aller de montagne en montagne et dans les broussailles
(Le Petit Poucet)
(Ibid.).
(Le Chat Botté).La métamorphose
(Riquet à la houppe)
(Ibid.).La chair des contes
(Charles Perrault)
« Il était une fois une petite fille, la plus espiègle qu’on eût pu voir. »
(Philippe Corentin)Le chaudron des contes
« Mais oui », dit la grand-mère.
« Pour de vrai ? »
« Mais oui, te dis-je. C’est la fin de l’histoire et puis, de toute façon, c’est la dernière page… »
« Ouf », fit le loup. « Quelle histoire !… »
Quelle belle journée !
Quelle belle journée !
Quelle belle journée ! Etc.
Petit capuchon
noisettes et fraises des bois
rencontrent le loupQui est-ce ?De fil et de bois
une branche qui s’allonge
mensongeQui est-ce ?Un chat s’amuse
ruse
et croque la souris ! !Qui est-ce ?Les vies du conte
(Postface à Forêt Racine Labyrinthe, Italo Calvino, Seghers, Benoît de la Brosse)Les parcours
Dans les livres, l’intertextualité
Boucle d’or c’est la forme idéale (maman, papa et moi) et la place de chacun (grand, moyen, petit). C’est l’arrivée d’un enfant dans l’univers d’un autre, pas prêteur, le rythme d’une maisonnée (repas, pause, sommeil), la structure répétitive.
Version populaire
Version historique
Version parodique
Réécritures
Version sans texte
Version sans image
Lito, Nathan, Ecole des loisirs : Byron Barton, Kimiko…
Père Castor, MeMo…
Boucle d’or (Gerda Muller), Les Trois ours (Paul Galdone)La Revanche des trois ours, Boucle d’or et les trois ours (Steven Guarniaccia)
Une autre histoire, Bou et les trois ours
Boucle d’or (Rasca), (Julia Chausson)
Salades de contes permettant de retrouver Boucle d’or parmi les autres héros…
Dans la forêt profonde, Anthony Browne, Kaléidoscoep
Boucle d’or et les 7 ours nains, Emile Bravo, Seuil, 2004
Boucle d’ours, Stéphane Servant & Laetitia Le Saux, Didier, 2013
Dans les textes et les images, la lecture experte
Et à la fin… tout recommence
Association Française
pour la Lecture
(www.lecture.org)Bibliographie
Ouvrages théoriques
Il était une fois… Les contes de fées, Olivier Piffault dir., Seuil/Bibliothèque Nationale de France, 1999
Le Langage des contes, Elzbieta, Le Rouergue, 2014
La Petite fille dans la forêt des contes, Pierre Péju, Robert Laffont, 2006
La Psychanalyse des contes de fées, Bruno Bettheleim, Robert Laffont, 1976Sitographie
La revue des livres pour enfants : rlpe@lajoieparleslivres.comProductions pour la jeunesse
Le balai magique, Chris Van Allsburg, 1993
Barbe Bleue, Charles Perrault
Bou et les trois ours, Elsa Valentin & Ilya Green, L’atelier du poisson soluble, 2008
Boucle d’or, Julia Chausson, Actes Sud, 2013
Boucle d’or et les 7 ours nains, Emile Bravo, Seuil, 2004
Boucle d’or et les trois ours, Gerda Muller, 2006
Boucle d’or et les trois ours, Steven Guarnaccia, Seuil, 1999
Boucle d’or et les trois ours, Rascal, L’école des loisirs, 2002
Boucle d’ours, Stépahne Servant & Laetitia Le Saux, Didier, 2013
Le Chat botté, Carles Perrault, Paul Galdone, Circonflexe, 2009
Le Code de la route, Mario Ramos, L’école des loisirs, 2010
Contes, Charles Perrault
Contes, Jacob et Wilhelm Grimm
Contes de la rue Broca, Pierre Gripari, La Table Ronde, 1967
Les Contes du chat perché, Marcel Aymé, Gallimard, folio Junior, 2007
Contes pour enfants pas sages, Jacques Prévert, Gallimard, folio cadet, 2002
Dans la forêt des contes, Anthony Browne, Kaléidoscope, 2004
Le Doudou méchant, Claude Ponti, L’école des loisirs, 2002 Le Grand sommeil, Yvan Pommaux, L’école des loisirs, 1998
Histoires pressées, Bernard Friot, Milan poche, 2007
Il était une fois… Contes en haïkus, Agnès Domergue & Cécile Hudrisier, éd. Thierry Magnier, 2013
John Chatterton détective, Yvan Pommaux, L’école des loisirs, 1993
Kirikou et la sorcière, Michel Ocelot, Milan, 2001
Lilas, Yvan Pommaux, L’école des loisirs, 1998
Mademoiselle sauve-qui-peut, Philippe Corentin, L’école des loisirs, 1996
Magasin zinzin pour fêtes et anniversaires : aux merveilles d’Alys, Frédéric Clément, 2000
Ma vallée, Claude Ponti, L’école des loisirs, 1998
Nouvelles histoires pressées, Bernard Friot, Milan poche, 2007
L’Ogre, le loup, la petite fille et le gâteau, Philippe Corentin, L’école des loisirs, 1995
L’Ogrionne, Philippe Corentin, L’école des loisirs, 1991
Oh là là !, Colin McNaughton, Gallimard, 2001
Okilélé, Claude Ponti, L’école des loisirs, 2002
Le Petit Chaperon rouge, Warja Lavater, Fondation Maeght, 1965
Le Petit chaperon rouge, Rascal, L’école des loisirs, 2002
Le Petit Poucet, Charles Perrault ou Grimm
Pinocchio, Carlo Collodi & Roberto Innocenti, Albin Michel, 2005
Plouf !, Philippe Corentin, L’école des loisirs, 1991
La Princesse parfaite, Frédéric Kessler & Valérie Dumas, éd. Thierry Magnier, 2010
La Revanche des trois ours, Alan Mac Donald et Gwyneth Williamson & Gwyneth Williamson, Mijade, 1998
Le Tournemire, Claude Ponti, L’école des loisirs, 2004
Le Trésor de M. Okamoto, Olivier Desvaux & Muriel Carimati, Picquier, 2010
Trois contes merveilleux : Cendrillon, Le Chat botté, ill. Walter Crane, 2014
Les Trois ours, Paul Galdone, Circonflexe, 2009
Les Trois petits cochons, Rascal, L’école des loisirs, 2012
Les Trois petites cochonnes, Frédéric Sther, L’école des loisirs, 1997
Les Trois petits pourceaux, Coline Promeyrat & Joëlle Jolivet, Didier, 2000
Une autre histoire, Anthony Browne, Kaléidoscope, 2009
Zigomar n’aime pas les légumes, Philippe Corentin, L’école des loisirs, 1992
Un commentaire pour “« Contes à régler » par Yvanne Chenouf”